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La Renaissance du Temps 1/2

A l’occasion de la semaine thématique sur le temps du C@fé des Sciences, voici un compte rendu du livre « grand public » de Lee Smolin, physicien théoricien passionné par ce sujet. Je n’ai pas réussi à résumer en un seul article ce livre de 300 pages extrêmement denses en informations et idées étonnantes.

Donc voici ce que j’ai retenu de la première partie du livre intitulée « Le poids : la mort du temps », dans laquelle Smolin décrit comment le temps a progressivement quasiment disparu de la physique au point que de nombreux scientifiques le considèrent comme une illusion ou une émergence.

Un second article couvrira très bientôt la seconde partie « Lumière : la renaissance du temps » dans laquelle Smolin plaide en faveur de la réalité du temps et présente sa propre conception du temps, dont les implications sont stupéfiantes.


La Renaissance du Temps
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1, 2, 3 : La mort du temps

Le premier chapitre propose la  chute libre comme prétexte à une réflexion philosophique sur l’existence du monde platonicien des mathématiques, atemporel, dans lequel existeraient les équations décrivant notre univers sensible. Pour Smolin, cette approche est du même ordre que le mysticisme religieux. Il défend une approche empiriste:

C’est un bien plus grand défi que d’accepter la discipline de devoir expliquer l’univers que nous percevons et dont nous faisons l’expérience uniquement en termes de lui-même, d’expliquer le réel seulement par le réel.

Après un rappel historique des progrès de l’astronomie jusqu’à Newton et sa loi universelle de la gravitation unifiant le mouvement des astres et la chute des corps sur Terre, Smolin consacre un chapitre entier à la représentation du temps en physique, et notamment aux graphiques représentant le temps sur un axe et la position sur un autre:

C’est une complète invention humaine, seulement une autre représentation de l’enregistrement du processus (…) Si nous confondons l’espace-temps avec la réalité, nous commettons une faute que nous pourrions appeler l’erreur de la spatialisation du temps (…). Ici dans le monde réel il y a toujours un instant, un moment présent. Aucun objet mathématique ne peut avoir cette particularité car une fois construits, les objets mathématiques sont intemporels.

4. faire de la physique dans une boîte

Le chapitre 4 est l’un de ceux qui m’a le plus fait réfléchir. Smolin relève que l’approche scientifique a conduit à « faire de la physique dans une boîte » : on considère un petit sous-système isolé du reste de l’univers dans lequel on néglige certains effets pour ne s’intéresser qu’à certaines variables qui définissent un espace de configuration, atemporel. De plus, en général on considère l’horloge comme extérieure au sous-système : l’évolution du système est mesurée en référence à une horloge extérieure, et rien de ce qui se produit dans le système n’est supposé influer sur l’horloge. Smolin insiste sur la puissance pratique de cette approche newtonienne de la physique pour décrire et prédire ce qui se passe à notre échelle. Mais en l’appliquant à l’Univers dans sa globalité, on commet l’erreur de penser que l’Univers évolue par rapport à une horloge absolue qui lui est extérieure, et une autre plus grave car plus insidieuse, de croire que les lois de la physique sont elles aussi extérieures au système et indépendantes du temps.

5. éradication de la surprise et de la nouveauté

Le chapitre suivant traite de l’ « éradication de la surprise et de la nouveauté » qui découlerait d’un univers totalement déterministe. De plus, les lois fondamentales de la physique étant réversibles dans le temps en vertu de la symétrie CPT (dont je cause dans ce très bon article) , la distinction entre passé et futur disparaît des équations mathématiques et apporte encore un argument aux physiciens qui éradiquent le temps de leur conception de la nature », pour reprendre les mots de Smolin

6. relativité et intemporalité

Animation relativiste trouvée sur la Wikipédia montrant les plans de simultanéité suivant la vitesse relative de référentiels divers par rapport à un référentiel où les événements A, B et C sont simultanés.

Le chapitre 6 intitulé « relativité et intemporalité » traite de la conception du temps qui résulte des théories de la relativité (restreinte et générale) d’Einstein et dont j’ai déjà causé dans plusieurs articles : le temps est une dimension imaginaire qui s’ajoute aux trois dimensions spatiales pour former l’univers-bloc des « éternalistes ». Pour Smolin, pourtant plein d’admiration pour Einstein et ses travaux notamment son principe d’équivalence qui traite de la chute libre, et même si la relativité générale parvient à mettre le temps « dans » l’Univers, cette conception du temps n’est pas satisfaisante. D’une part il y a les problèmes posés par les singularités comme les trous noirs et le Big Bang, mais surtout l'équation d’Einstein est toujours une loi intemporelle, extérieure à l’univers, et qui ne répond toujours pas à la question de savoir pourquoi je ressens une certaine configuration de l’Univers comme « présente », et ce qui distingue le futur du passé.

7. cosmologie quantique

Le chapitre 7 « cosmologie quantique et fin du temps » traite de la vision du temps apportée par l’autre grande branche de la physique théorique, la mécanique quantique dans laquelle le temps disparaît complètement  et débouche sur le présentisme :

Le cosmos quantique n’évolue pas ni ne change, il n’est pas en expansion ni en contraction, il EST, tout simplement.

Pour Smolin, la mécanique quantique est l’illustration parfaite de la « physique dans une boite » : elle marche très bien pour un atome tellement isolé qu’on n’a même pas le droit de l’observer, et l'équation de Schrödinger, elle aussi extérieure à la boîte, décrit comment l'état quantique de l’atome évolue en fonction d’une horloge elle aussi extérieure à la boite. Pour supprimer cette horloge, la cosmologie quantique de Wheeler & DeWitt énonce que la l’énergie totale de l’Univers doit être nulle, donc qu’il existe de l’ énergie négative, entre autres sous forme d’énergie potentielle de gravitation, qui contrebalance exactement l’énergie « positive » et la matière qui lui correspond.

Smolin est pour le moins critique avec cette approche et défend plutôt la gravitation quantique à boucles qu’il a contribué à développer, avec Carlo Rovelli entre autres. Si j’ai bien compris cette page (89) assez dense, la gravitation quantique à boucles déboucherait sur l’idée que le temps puisse « émerger » à notre échelle alors qu’il n’aurait pas de signification à l’échelle des particules, un peu comme la notion de température. Smolin mentionne aussi d’autres conceptions du temps censées être compatibles avec la cosmologie quantique, notamment celle de Julian Barbour, lauréat du prix Fqxi sur la nature du temps en 2009 (et dont le site s’appelle Platonia… )

Pour Barbour, tout les instants possibles de l’Univers correspondant à tous ses états quantiques possibles « existent » dans un phénoménalement grand « entassement d’instants ». De plus les instants/états sont dupliqués à de très nombreux exemplaires en fonction de leur probabilité d’occurrence. Selon Barbour l’Univers passe d’un instant à l’autre en permanence au hasard, sans causalité, mais avec une « préférence » statistique pour le passage d’un « petit » état défini par peu d’information à un état « grand », ce qui définirait la flèche du temps. Smolin termine ce chapitre par une citation (authentique) d’Einstein, tirée de la lettre de condoléances qu’il envoya à l’épouse de son ami Luc Besso:

Il a pris congé de ce monde étrange avec un peu d’avance sur moi. Cela ne veut rien dire. Les gens comme nous, qui croyons à la physique, savons que la distinction entre passé, présent et futur est seulement une illusion d’une persistance entêtée.

La première partie du livre se termine en réalité ici, mais je trouve que les deux chapitres suivants auraient pu y être rattachés car ils ne concernent pas encore la conception du temps de Smolin

8. l’erreur cosmologique

Au chapitre 8, il revient sur ce qu’il appelle l' »erreur cosmologique » : appliquer à l’Univers entier des lois établies et vérifiées sur des sous-systèmes. Il fait remarquer en particulier que les lois se vérifient sur beaucoup de sous-systèmes, alors que nous n’avons qu’un seul Univers sous la main. Comment vérifier la validité d’une loi sur un un seul « cas d’application » ? Et pourquoi cette loi et pas une autre ? De plus, beaucoup de théories cosmologiques (théorie des cordes, équation d’Einstein …) admettent en réalité une infinité de solutions, parmi lesquelles une seule correspond à notre univers. Doit-on se résoudre à admettre l’existence d’une infinité d’Univers inaccessibles pour pouvoir justifier le notre par un principe anthropique ?

9. le défi cosmologique

Smolin relève ensuite que toutes les théories physiques divisent le monde en deux parties, une « dynamique » qui change , et une statique qui contient un « fond » de choses immuables, comme les constantes fondamentales par exemple. Au chapitre 9, il présente le « défi cosmologique » consistant à formuler une théorie de l’univers « indépendante du fond », purement dynamique afin de ne rien supposer d’extérieur à l’Univers.

Lorsqu’on fait de la « physique dans une boite », le « fond » comprend notamment les conditions initiales, et la méthode expérimentale permet de contrôler les conditions initiales afin de s’assurer que les lois sont indépendantes de ces conditions. En cosmologie, cette distinction entre « lois » et « conditions initiales » aggrave le problème qu’elle résout « dans une boite » : si nos observations du fond diffus cosmologique ne correspondent pas bien à la théorie de l’inflation cosmologique, faut-il corriger la loi ou les conditions initiales ? Smolin critique aussi les théories effectives qui décrivent bien ce qui se passe à une certaine échelle de grandeur, mais en négligeant l’influence de ce qui est beaucoup plus grand ou plus petit. Pour Smolin, la théorie issue du défi cosmologique doit tenir compte de tout, sans rien négliger.

10. nouveaux principes de cosmologie

Le chapitre 10 liste les « nouveaux principes de cosmologie » que devrait satisfaire une nouvelle théorie cosmologique:

  1. Elle devrait contenir ce que nous savons déjà sur la nature. Le modèle standard, la relativité générale et la mécanique quantique doivent « émerger en tant qu’approximations » de cette nouvelle théorie.
  2. Elle devrait être scientifique, c’est à dire produire des prédictions testables pour des expériences réalistes ( J’ai adoré ça !)
  3. Elle devrait répondre à la question « Pourquoi ces lois ? »
  4. Elle devrait résoudre le problème des conditions initiales
  5. Elle ne devrait contenir ni symétries ni lois de conservation. Là je sens certains lecteurs bondir ! L’argument de Smolin est basé sur le théorème de Noether qu’il considère extrêmement important, et sur l’idée que les symétries ne sont valables que « dans une boite », et parfois imparfaites. Donc il ne dit pas que les symétries ou les lois de conservation sont fausses, mais plutôt qu’elles devraient résulter de la théorie (selon le point 1) au lieu d’en être le fondement comme dans les théories basées sur la supersymétrie par exemple.
  6. Elle devrait être fermée causalement et au plan explicatif : rien hors de l’Univers ne devrait être requis pour expliquer quoi que ce soit à l’intérieur de l’Univers
  7. Elle devrait satisfaire le principe de raison suffisante, le principe d’absence d’actions sans réciproque, ainsi que le principe d’identité des indiscernables. Ces principes « philosophiques » m’ont semblé les plus contestables, et je n’ai pas vraiment compris pourquoi Smolin les introduit si ce n’est pour favoriser sa propre théorie…
  8. Ses variables physiques ne devraient décrire que des relations évolutives entre des entités dynamique. Elle devrait être purement dynamique, indépendante du fond, ce qui implique que les lois de la nature évoluent, impliquant que le temps est réel.

Dans ce dernier point, Smolin n’arrive plus à s’empêcher de mentionner sa solution en même temps que le problème. Nous verrons dans la deuxième partie que l’idée de lois physiques qui évoluent n’est qu’une des nombreuses hypothèses étonnantes de Smolin, mais aussi qu’il propose des méthodes expérimentales de les vérifier.

Ca fait envie ? Patientez quelques jours pour la suite, lisez d’autres compte-rendus [2,3] ou achetez le livre !

Références

  1. Lee Smolin "La Renaissance du Temps: pour en finir avec la crise de la physique" (2014) Dunod ISBN:9782100706679 WorldCat Goodreads Google Books  
  2. Bernard Dugué « La renaissance du temps : pour en finir avec la crise de la physique ?« , 2013, sur Agoravox
  3. Jean-Paul Baquiast, « présentation de Time Reborn« , 2013, Revue Automates Intelligents No 136

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