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Y’a-t-il des trous noirs dans la mer ?

Règle pour le journalisme scientifique : si votre article peut être résumé par « Non », ne l’écrivez pas.

Voici un article que je ne devrais pas écrire, en vertu de la loi du journalisme de SNBC illustrée ci-contre.

Ce qui m’y force, ce sont articles intitulés « Des trous noirs découverts dans les océans« , « Les scientifiques trouvent des trous noirs dans l’océan Atlantique« m pour les plus radicaux, ou « Des trous noirs dans nos océans, selon des scientifiques« , « Des scientifiques affirment que des trous noirs se cachent à l’intérieur de nos océans… Ou presque » pour les légèrement plus prudents.

A l’origine de tous ces mauvais articles d’over-vulgarisation on trouve un communiqué de presse de l’ETHZ « Chasing the black holes of the ocean », que n’importe quel débutant en anglais traduira par « A la chasse aux trous noirs de l’océan », et certainement pas par « … dans l’océan ». Donc NON, il n’y a pas de trous noirs dans la mer, mais à la rigueur un phénomène analogue. A ce sujet, le résumé du communiqué de presse est assez clair :

Selon des chercheurs de l’ETH Zurich et l’Université de Miami, certains des plus grands tourbillons océaniques de la planète sont mathématiquement équivalents aux trous noirs mystérieux de l’espace. Ces tourbillons sont si étroitement protégés par des chemins d’eau circulaires que rien de ce qu’ils capturent ne leur échappe.

Donc selon le communiqué, l’analogie découverte entre tourbillons et trous noirs n’est que mathématique, mais tout de même une équivalence mathématique entre deux phénomènes physiques si distincts serait effectivement sacrément étonnante et importante. Mais ce communiqué est mauvais aussi, car tant son titre que son résumé dénaturent eux aussi les travaux mentionnés.

Car l’article original [1] n’établit en réalité qu’une « interprétation géométrique attrayante » du fait qu’il existe à la surface de l’eau (donc en 2D) autour d’un tourbillon une trajectoire sur laquelle les objets flottants décrivent des trajectoires fermées. En exprimant le lagrangien d’une masse d’eau océanique en rotation en termes d’énergie, les auteurs tombent sur une métrique lorentzienne qui les fait assimiler la trajectoire fermée à une « sphère de photons » (donc 3D) autour d’un trou noir. Rien de plus : aucune « équivalence » n’existe du point de vue physique, surtout pas à l’intérieur de cette limite.

Et c’est très dommage, parce que si l’ « équivalence » affirmée par le communiqué de presse était réelle, on aurait pu étudier l’entropie des trous noirs à partir des bouteilles à la mer retrouvées dans les tourbillons 😀

En passant, l’ « interprétation géométrique attrayante » compare un tourbillon qui tourne à un trou noir de Schwarzschild qui ne tourne pas et n’existe donc probablement pas. Un vrai trou noir est au moins un trou noir de Kerr, qui tourne et  possède un ergosphère bien plus complexe que la « sphère de photons ».

De plus, les auteurs ne prétendent absolument pas que ces tourbillons océaniques « aspirent » quoi que ce soit. En fait l’article concerne le « transport lagrangien » de chaleur dans le cadre des modèles climatiques océaniques. Ces « tourbillons lagrangiens » restent « cohérents » en se déplaçant sur de grandes distances dans l’océan, c’est-à-dire que l’eau qui circulent à l’intérieur de leur « sphère de photons » n’a que peu d’échanges thermiques avec l’extérieur. (Ils n’ont pas osé la comparaison avec le rayonnement de Hawking…)

A mon humble avis, la petite similitude mathématiques aurait mérité une phrase dans l’article, éventuellement un paragraphe, mais sa présence dans l’abstract et même le titre de l’article sent plutôt la recherche du buzz, qui touche même le monde de la publication scientifique. 

Un tourbillon de 100km de diamètre détecté par Terra dans le courant des Aiguilles de l’Océan Indien (Image « Celestial Convergence »)

Pourtant, le résultat principal de l’article est de grande valeur : leur méthode permet de détecter de tels tourbillons par des satellites comme Terra et de suivre leur déplacement dans l’océan jusqu’au moment ou leur disparition (inexplicable par l’analogie avec un trou noir) provoque le mélange de l’eau transportée par le tourbillon avec l’eau environnante. Et ça, c’est vraiment très fort.

Référence:

    [altmetric doi= »10.1017/jfm.2013.391″ float= »right »]

  1. ResearchBlogging.org Haller, G., & Beron-Vera, F. J (2013). Coherent Lagrangian vortices: The black holes of turbulence Journal of Fluid Mechanics, 731 DOI: 10.1017/jfm.2013.391 (Article pdf Appendices)

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