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le blog du Dr. Goulu

Comment transformer le plomb en or ?

Une fois de plus ma paresse me pousse à traduire un article de « Ask a Physicist » répondant à la question suivante:

Avec la technologie moderne, sommes-nous plus près de transformer le plomb en or que les alchimistes il y a quelques siècles ?

La question originale était : « Avec la technologie actuelle, est-il maintenant possible de transformer le plomb en or, ou n’importe quel élément en une autre ? Quelles transmutations les anciens alchimistes auraient-ils du tenter pour aboutir à un succès ?

Réponse du Physicien : le plomb en or, non. Mais on peut changer quelques éléments en d’autres. Le rendement est extraordinairement faible, et le processus est prohibitivement coûteux. Avant la fin du XIXème siècle, personne n’avait observé un élément se transformant en un autre, et jusqu’au XXème il n’y avait aucun équipement sur Terre qui ait eu la moindre chance de changer (volontairement) un élément en un autre.

En remontant au temps où les chimistes (ou alchimistes) sont devenus capables de purifier des échantillons et de fabriquer des produits variés, ils ont eu la prétention de transformer des matières en d’autres.

Mais alors que vous pouvez utiliser des réactions chimiques pour transformer l’hydrogène et l’oxygène en eau, ou de la farine et de l’eau en pain, il n’y a aucune combinaison de produits et de réactions chimiques qui ne peut ne serait-ce que commencer à transmuter un élément en un autre. Les alchimistes de cette époque, inconscients de ceci, furent très excités par la transformation du plomb en or, la pierre philosophale et la création de vie à partir de rien. Nombre d’entre eux étaient des scientifiques reconnus de leur temps, dont nous, scientifiques d’aujourd’hui, avons hérité certains symboles et raccourcis, mais pour l’essentiel pas les méthodes.

Newton loved himself some alchemy.
Newton se passionnait pour l’alchimie. Il inventa le calcul infinitésimal et fonda la physique moderne, mais il chercha aussi le Saint Graal et poursuivit d’autres projets un peu fous.

Les diverses molécules chimiques sont différentes car elles utilisent différentes combinaisons des éléments, mais les éléments et leurs isotopes diffèrent entre eux par le nombre de protons et de neutrons qui forment leur noyau atomique.

Il y a trois principales manières de changer le nombre de protons et de neutrons d’un noyau atomique : la fusion, la décroissance radioactive et le bombardement par des neutrons.

Fusion is tricky.
La fusion, c’est tout un art…

En pratique, la fusion pose des problèmes. A ce jour, nous avons réussi à fusionner du deutérium (isotope de l’hydrogène) en hélium, ce qui est la fusion la plus facile. Et encore nous y arrivons de justesse, au milieu de très grosses bombes.  Pour produire de l’or par fusion comme la nature l’a justement fait, il nous faudrait une supernova, ce qui n’est pas dans nos moyens.

Beaucoup d’atomes ont un noyau instable qui va parfois faire « pop » en se transformant en un autre élément ou isotope. Donc techniquement, être patient est une manière de transformer un échantillon d’une matière en une autre.

Commencez avec de l'Uranium 235, attendez quelques milliards d'années, et vous aurez du plomb.
Commencez avec de l’Uranium 235, attendez quelques milliards d’années, et vous obtiendrez du plomb.

Malheureusement. le matériau de départ doit être radioactif.  Les atomes radioactifs « décroissent » jusqu’à ce que le nombre de leurs protons et de leurs neutrons s’équilibrent selon une certaine loi, et pour les éléments lourds l’équilibre parfait est presque atteint avec le plomb ou le thallium.

La dernière manière de transformer un isotope en un autre est la seule que nous sommes capables d’utiliser et de contrôler : le bombardement neutronique. Ce n’est pas la meilleure solution, mais c’est la seule que nous ayons. L’idée est que les neutrons étant électriquement neutres (d’où leur nom), ils peuvent rejoindre le noyau atomique sans être repoussés par le noyau, chargé positivement. Cette répulsion empêche la technique de fonctionner avec des protons, et c’est d’ailleurs ce qui rend la fusion si difficile.

On utilise déjà le bombardement neutronique pour produire du plutonium à partir d’uranium. Bombarder un échantillon avec des neutrons rend ses atomes presque toujours plus radioactifs, ce qui les fait parfois muer en éléments supérieurs par désintégration β-. La technique est donc du type « bombarder et attendre ». Dans certains cas, les atomes sont si radioactifs qu’ils se brisent aussitôt, et s’ils produisent une giclée de neutrons, vous avez la recette d’une bombe, ou d’une centrale nucléaire.

Voici une carte de tous les isotopes connus et de leur réaction de désintégration radioactive préférée (beaucoup d’isotopes peuvent se désintégrer de plusieurs manières) :

All of the isotopes, with the number of neutrons increasing as you go up, and the number of protons increasing to the right.
tous les isotopes, avec le nombre de neutrons sur l’axe X et le nombre de protons sur l’axe Y. Les points noirs sont les isotopes stables  (cliquer pour un poster à très haute résolution [14Mb])
Les différentes couleurs indiquent les modes de désintégration. Par exemple le rose est la désintégration  β+  dans laquelle un proton se change soudain en neutron en émettant un positron (anti-électron) qui est la « radiation » que l’on peut détecter. Donc sur la carte, les isotopes roses transmutent en se décalant en diagonale vers le bas et à droite, en perdant un proton et gagnant un neutron.

Règle du jeu : tout ce qu’on peut faire c’est décaler une petite fraction d’un isotope d’une case vers la droite en lui ajoutant des neutrons, et attendre les désintégrations naturelles…

En consultant la carte, vous pouvez voir quels éléments peuvent raisonnablement être produits à partir d’autres par bombardement neutronique. Par exemple, en regardant la petite portion de la carte ci-dessous, vous pourriez envisager créer de l’or en bombardant du platine 196, qui est juste en dessous de l’or 197, le seul isotope stable de l’or. Ca lui ajouterait un neutron qui le transformerait en platine 197, subissant ensuite une désintégration β- qui le décalerait d »une case en haut à gauche, le transformant en or. Cette désintégration β a une demi-vie d’environ 20 heures, donc après irradiation du platine il suffit d’attendre quelques jours pour extraire des traces d’or de votre échantillon de platine. Il existe aussi une transmutation du mercure en or, réalisée en 1941 déjà.

Mais le plomb est mal placé pour former de l’or. Par bombardement neutronique on peut le décaler vers la droite, mais les chemins des désintégrations radioactives successives de tous les isotopes ainsi formés reviennent soit au plomb, soit au bismuth.

Tout ce qu’on peut faire avec le plomb c’est de lui ajouter des neutrons (flèches blanches), mais les désintégrations naturelles le ramènent au plomb ou au bismuth.

Donc en utilisant la seule et unique technique dont nous disposons, nous ne pouvons pas transformer le plomb en or. Même pas un tout petit peu. Du platine ou du mercure oui, mais du plomb non*

Finalement, les processus de transmutation du platine ou du mercure en or sont considérablement plus chers et dangereux que creuser le sol pour en extraire l’or. Entre autres accessoires, il vous faudra une source de neutrons qui est en général un bout de métal extrêmement radioactif, cher et illégal. Sinon, un accélérateur à plusieurs milliards peut aussi faire l’affaire. Il existe des manières plus simples de perdre de l’argent…

Note:

Le temps de traduire l’article, quelqu’un a mentionné dans les commentaires de l’article original que Seaborg a transmuté quelques centaines d’atomes de bismuth en or en 1980

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