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Amiante : pas de panique …

Beaucoup de bâtiments contiennent de l'amiante [1]. Cette fibre minérale a été utilisée jusqu’en 1990 dans des matériaux de construction très divers que l’on peut classer en 3 grandes catégories [2] :

  • Amiante fortement aggloméré : l’amiante représente moins de 20% du poids et est fortement lié au matériau par un liant. Exemples : plaques en fibrociment, conduites, meubles de jardin, mais aussi plaques d’embrayage de voiture et joints d’étanchéité
  • Amiante faiblement aggloméré : l’amiante représente plus de 40% du poids et est faiblement lié par un liant. C’est le cas de l’amiante « floqué » utilisé pour l’isolation et la protection contre l’incendie, ainsi que d’autres matériaux anti-feu, notamment des plaques de faux plafonds.
  • Amiante pur, non lié : joints anti-feu dans les chaudières, vêtements ignifuges.

Maladies professionnelles

Asbestose (image Dr V. Latrabe. Service d’imagerie – Hôpital du Haut-Lévêque – Bordeaux )

Mésothéliome (image Dr V. Latrabe. Service d’imagerie – Hôpital du Haut-Lévêque – Bordeaux)

Si des fibres microscopiques atteignent les poumons, elles peuvent provoquer des maladies « bénignes » (au sens médical) comme l'asbestose, ou malignes.

Deux formes de cancer sont clairement liées à l’amiante : le cancer du poumon (carcinome bronchique) et le cancer de la plèvre (mésothéliome). L’asbestose provoque des lésions des poumons typiques et est reconnue comme maladie professionnelle. C’est aussi le cas du mésothéliome:

la part des cas de mésothéliome attribuable à une exposition professionnelle à l’amiante chez les hommes a été estimée à 83%.  [3]

Bien que les cas de cancer du poumon soient nettement plus élevés chez les professionnels de l’amiante et les ouvriers du bâtiment, il est nettement plus difficile d’attribuer un cas précis de cancer du poumon à l’amiante, car la maladie est indiscernable d’un cancer du fumeur par exemple.

9 carcinomes bronchiques sur 10 sont provoqués par la fumée. (…) On observe aussi un risque plus important de développer un cancer du poumon chez les professionnels soumis au contact direct et à des concentrations très élevées d’amiante, de chrome, de nickel, de composés d’arsenic et de substances benzéniques. Le risque de cancer du poumon augmente encore lorsque plusieurs facteurs de risque sont réunis, par exemple lorsque des fumeurs respirent des fibres d’amiante.  [4]

Il faut noter que toutes les études concernant les effets de l’amiante concernent des professionnels de cette industrie ou de la construction. Les données actuelles ne permettant pas de déceler un impact statistiquement significatif sur les occupants de locaux contenant de l’amiante.

Amiante et tabac

Le Tribunal Fédéral n’a pas encore tranché le cas d’un fumeur atteint (et décédé) d’un carcinome bronchique, opposé à la SUVA qui refusait de reconnaître son cas comme maladie professionnelle bien qu’il ait été exposé à l’amiante. Dans son arrêt [5] , le Tribunal mentionne de nombreuses données provenant d’études sur les risques liées au tabac, à l’amiante, et à la combinaison des deux:

  • (5.2.1) le risque de carcinome bronchique est multiplié par plus de 20 pour une consommation de tabac (de 25 cigarettes/jour). Pour l’amiante, un doublement de la fréquence du carcinome bronchique n’est observé qu’à des niveaux d’exposition relativement élevés
  • (5.2.2) le risque de carcinome bronchique est multiplié par 10.85 en moyenne pour les fumeurs, et par 5.17 en moyenne pour les personnes professionnellement exposées à l’amiante. Le risque est multiplié par 53.24 pour les personnes combinant les deux (!)
  • (7.1) Le tribunal admet que le risque relatif est doublé à partir d’une exposition cumulative de 25 fibres/années, l’exposition cumulative en « fibres années » correspondant à a concentration moyenne de fibres d’amiante respirable par cm3 d’air, multipliée par le nombre d’années de travail (48 semaines par an, cinq jours par semaine et 8 heures par jour)

Valeur limite d’exposition

En Suisse:

La valeur limite d’exposition (VME) pour l’amiante a été fixée à 0,01 fibre d’amiante/ml. Cette valeur se base sur les données épidémiologiques les plus récentes concernant la relation entre le niveau d’exposition à l’amiante et le mésothéliome ou le cancer du poumon. En principe, la VME est applicable à tous les postes de travail. Le risque de cancer lié à l’amiante dépend, comme pour tous les autres toxiques, de l’intensité et de la durée d’exposition. Pour les substances cancérigènes, il n’est pas possible de déterminer un niveau de concentration inoffensif avec suffisamment de sécurité dans l’état actuel de nos connaissances.

L’exposition à l’amiante devrait donc toujours être la plus basse possible (principe de minimisation). On estime que ce principe est respecté lorsque, à des postes où l’on n’est pas censé travailler avec des matériaux contenant de l’amiante, le 10 % de la VME n’est pas dépassé.

Lors d’expositions de courte durée, on tient compte de la dose cumulative (fibres/années) » (*) [6]

En supposant qu’une personne travaille pendant 40 ans à plein temps à la concentration maximale autorisée, sa dose cumulative correspondrait à 0.4 fibres/année, soit 60x moins que les 25 fibres/année reconnus comme causant un doublement du risque, ou moitié de la dose de 1 fibre/an citée dans certaines études comme causant une augmentation de 1% du risque de cancer.

Risques objectifs

L’épidémie de cancers dus à l’amiante est réelle [3] : les personnes qui ont déversé des sacs d’amiante dans les usines, floqué ou défloqué des bâtiments sans protection il y a 20 ou 30 ans ont un risque élevé de développer une maladie des voies respiratoires dans les prochaines années.

Il y a certainement également des cas dus à une exposition accidentelle à l’amiante suite à des travaux effectués dans des mauvaises conditions. En particulier, les personnes qui bricolent ou rénovent leur maison doivent être prudentes [8].

On peut également citer dans ce contexte l’écroulement des tours du World Trade Center le 11/9/2001 qui a répandu des tonnes d’amiante dans le centre de New York. Les conséquences de cette catastrophe sur la santé permettront, hélas, de mieux cerner le risque lié à l’amiante, dans plusieurs décennies.

Par contre, le risque lié à l’habitation ou au travail dans des locaux contenant de l’amiante est extraordinairement faible, voire nul, pour autant que l’air soit dans les normes définies par la VME.

Ecoles et bâtiments publics à Genève

La problématique de l’amiante a rebondi récemment lors de l’annonce de deux cas de mésothéliome (?) chez des fonctionnaires du Cycle d’Orientation du Foron. Comme l’indique Vincent Perret, adjoint scientifique au Stipi [9]:

Ces fonctionnaires ont pu être exposés ailleurs, en bricolant ou lors de leur enfance, car le mésothéliome se déclare après au moins quinze ans de latence. Ensuite, il se peut que les risques aient été sous-estimés lors de travaux effectués au Foron. Enfin, peut-être que les effets d’une faible exposition à long terme ont également été sous-évalués.

La relation entre ces cas dramatiques et la salubrité du Cycle du Foron n’est donc pas clairement établie et ne le sera probablement jamais, mais la Ville et le Canton de Genève ont clairement accéléré le répertoire des locaux publics, scolaires en particulier, en vue de leur désamiantage:

la Ville de Genève a inspecté 26 écoles primaires sur ses 53 groupes scolaires. Bilan: 23 d’entre elles contiennent la fibre mortelle. Outre les Crêts-de-Champel, deux autres établissements primaires sont placés sur la liste d’urgence. A Vieusseux, les travaux de décontamination en sont à mi-parcours. L’école des Contamines devrait voir ses dangereux faux plafonds changés cet été (…) l’Etat a listé en décembre 263 immeubles lui appartenant susceptibles de contenir des matériaux à base d’amiante. Entre cycles et collèges, ce sont 99 lieux scolaires qui sont contaminés, auxquels s’ajoutent 33 bâtiments universitaires. [10]

Que pouvons nous faire ?

Les bâtiments contenant de l’amiante floqué ou des faux plafonds amiantés ne sont pas forcément dangereux actuellement. Ils doivent être répertoriés pour être contrôlés périodiquement, et pour que les travaux qui s’y déroulent soient menés dans les conditions de sécurité optimale. Comme citoyens nous pouvons évidemment exiger que ceci soit fit sérieusement, mais il n’y a pas de raison d’en faire un priorité absolue non plus.

Par contre, pour éviter le cancer du poumon, nous pouvons faire quelque chose de très concret et simple : arrêter de fumer, et réduire la fumée passive. Sachez bien que si votre enfant fume, qu’il fréquente des amis fumeurs ou que vous mêmes fumez à la maison, il est exposé à un risque bien plus élevé que s’il étudie dans une classe pourvue de faux-plafonds amiantés.

Références:

  1. Wikipedia « Amiante » http://fr.wikipedia.org/wiki/Amiante
  2. Module pédagogique « Risques liés à l’amiante » de la SUVA
  3. « Surveillance épidémiologique des effets de l’exposition à l’amiante« , Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire BEH n°41-42 (23 octobre 2007), Institut de Veille Sanitaire
  4. « Le cancer du poumon : Causes. Symptômes. Diagnostic. Traitement. Pronostic », Ligue Suisse contre le Cancer
  5. Arrêt du tribunal Fédéral Suisse BGE 133 V 421
  6. Valeur Limite d’Exposition à l’amiante SUVA
  7. Site « amiante » de l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) http://www.amiante.inrs.fr/
  8. Forum amiante Suisse (FACH) http://www.forum-asbest.ch/fr/
  9. « Amiante: le nettoyage est loin d’être terminé« , Marc Guéniat, « Tribune de Genève » 24 nov. 2007
  10. Amiante à Genève: les instituteurs veulent savoir, Philippe Poirson, « Le Courrier » 19 jan. 2008
  11. Amiante dans les bâtiments publics genevois http://www.geneve.ch/amiante/

Note:

* d’après la définition, on devrait plutôt parler de fibres*années…

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