La stratégie militaire n’est pas mon domaine de prédilection, mais elle se trouve au coeur de deux blogs que j’ai suivi ces derniers temps:
- le blog « stratégie, perspective et infosphère » de Ludovic Monnerat. Pour être clair, ses articles sur l’armée suisse me semblent plus pertinents que ceux qui sous-tendent une guerre de civilisation « gentils zaméricains de droite + israéliens » contre « méchants islamistes soutenus par la presse européenne de gauche »
- le blog « théâtre des opérations » de François Duran, qui publie de très longues analyses très fouillées et documentées (à quand le livre?), notamment une excellente série d’articles sur comment « Combattre une Guérilla » . Par contre son article « la dangereuse imposture de la guerre asymétrique » et son postulat selon lequel Al-Quaeda serait une organisation bien structurée vont à l’encontre des idées de Jacques Baud , auteur de l’excellent livre « La Guerre asymétrique ou la Défaite du vainqueur » [1].

Ce qui m’a frappé, c’est que Jacques Baud se réfère souvent à Sun Tzu, dont « l’Art de la Guerre » reste la référence stratégique orientale depuis 2500 ans (le texte complet de ce livre essentiel est disponible ici au format pdf), alors que Monnerat et Duran n’y font que de vagues allusions.
En lisant Sun Tzu, on s’aperçoit que les orientaux ont à propos des confilits une « pensée différente » des occidentaux, habituée depuis des siècles à aligner des rangées de chair à canon face à face, pratiquement jusqu’à la 2ème guerre mondiale.
Selon Sun Tzu :
« Pour être victorieux de ses ennemis, cinq circonstances sont nécessaires :
- Savoir quand il est à propos de combattre, et quand il convient de se retirer.
- Savoir employer le peu et le beaucoup suivant les circonstances.
- Assortir habilement ses rangs. (…) La saison appropriée n’est pas aussi importante que les avantage du sol ; et tout cela n’est pas aussi important que l’harmonie des relations humaines.
- Celui qui, prudent, se prépare à affronter l’ennemi qui n’est pas encore ; celui là même sera victorieux. Tirer prétexte de sa rusticité et ne pas prévoir est le plus grand des crimes ; être prêt en-dehors de toute contingence est la plus grande des vertus.
- Etre à l’abri des ingérences du souverain dans tout ce qu’on peut tenter pour son service et la gloire de ses armes. »
Sur « The American Experience and Sun Tzu« , quelques événements historiques sont analysés dans cette perspective:
- l’attaque de Pearl-Harbor, considéré comme une lâcheté en Occident, était justifié pour les Japonais dans la mesure où ils étaient conscients qu’une guerre avec les USA était inévitable. On raconte même que l’Amiral Yamamoto, ayant appris que les porte-avions US n’avaient pas été détruits, savait déjà que la guerre était perdue, dès le 1er jour…
- Mao Tse-Tung, grand adepte de Sun Tzu, construisit la Chine « Populaire » avec une petite guerilla, en parvenant à monter les troupes de Chine nationaliste, les Alliés et les Japonais les uns contre les autres.
- En Indochine puis au Vietnam, le Général Giap infligea aux français, puis aux américains (qui avaient ignoré les avertissements de De Gaulle, déjà…) des défaites terribles. Lors d’un interview télévisé, il disait qu’il n’avait jamais eu aucun doute sur ses victoire: selon Sun Tzu, avec des troupes motivées, sur leur terrain, en harcelant des petits jeunes venus du bout du monde pour des motifs bancals, il n’y avait aucun risque de perdre. Ce n’est d’ailleurs qu’après le Vietnam que les écoles militaires américaines commencèrent à étudier attentivement Sun Tzu…
Je me permets de traduire intégralement leur passage sur « The Insurgency », illustrée par une silhouette arabe, tant il va dans le sens de mes articles précédents et commentaires divers sur le conflit Israël-Palestine et sur le terrorisme :
Pour déclarer victoire, le perdant doit accepter sa défaite ou être détruit de façon à ce qu’il ne puisse plus résister. S’il n’accepte pas sa défaite et n’est pas détruit, il se battra à nouveau.
Sun Tzu est un livre pour les combattants de guerilla mais aussi pour ceux qui doivent combattre une insurrection de guerilla. les caractéristiques des insurrections sont d’attaquer les faiblesses physiques, psychologiques et morales des opposants. Si un insurgé ne peut vaincre militairement, il peut choisir d’attaquer les bases économiques ou morales soutenant l’armée opposée, ou simplement choisir de ne pas capituler pour épuiser la force adverse.
Ceux qui étudient Sun Tzu comprennent que, même si Sun Tzu encourage à gagner sans combattre, son texte reconnait qu’après le combat, si un ennemi ne se rend pas mais doit tout de même être défait, on doit en définitive détruire cet ennemi. Si on ne peut pas le détruire, on doit l’isoler, l’intégrer ou l’annihiler. Et si on ne peut rien faire de cela, on a un sérieux problème.
Le « sérieux problème » est différent dans le cas Israël-Palestine, USA-Al Quaeda, ou USA-Irak, mais un certain nombre de points sont communs:
- les Arabes ont perdu les guerres contre Israël, mais ne l’ont jamais reconnu. Ils n’ont pas pu être détruits, Israël n’a pas voulu les intégrer, ni pu le faire car l’annexion militaire de territoires n’est plus admise. L’annihilation dans des camps d’extermination n’étant pas une option envisageable, il ne reste que l’isolement, « issue » à laquelle Israël s’applique méticuleusement depuis quelques années.
- l’organisation Al-Quaeda a été pulvérisée en Afghanistan, mais ne l’a pas reconnu. Si elle avait eu une structure organisée, elle aurait été totalement détruite. Elle « survit » car elle est constituée de groupuscules très peu liés, qui réussissent parfois des actions spectaculaires (Madrid) et en ratent souvent par un « amateurisme » étrange (chaussure explosive dans l’avion, Londres…). Partant du principe que l’intégration n’a pas de sens, et que l’annihilation ou l’isolement impliquent de commencer par localiser les « terroristes », on en vient à se poser la question : Al-Quaeda est-elle toujours une guerilla internationale, ou n’est-ce plus que des criminels isolés ? L’avenir nous le dira …
- En Irak, les USA ont obtenu une victoire militaire sur l’Etat de Saddam Hussein, mais se retrouvent pris dans un conflit avec des ennemis mal identifiés : chiites majoritaires soutenus par l’Iran ? sunnites souhaitant garder le pouvoir ? combattants d’Al-Quaeda venus d’Afghanistan pour casser du GI ? voire kurdes manoeuvrant dans l’ombre pour créer un Etat indépendant ? tous à la fois ?
un dernier petit conseil de Sun Tzu à Georges W :
- Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux.
- Si tu ignores ton ennemi et que tu te connais toi-même, tes chances de perdre et de gagner seront égales.
- Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites,
Référence:
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4 commentaires sur “Et Sun Tzu ?”
Autre double conseil de Sun Tsu, pour déstabiliser son ennemi:
– « cacher ses intentions
– semer le trouble dans ses rangs »
absolument. Il y en a plein comme ça qu’on considère en occident comme des traitrises ou de la désinformation alors que c’est tout à fait normal en orient …
Même Paris Hilton lit Sun Tzu ! J’ai illustré l’article avec une photo allant dans le sens de mon intuition : cette fille est beaucoup moins bête qu’elle n’en a l’air.
Dans « l’art de tirer les mauvaises leçons« , Ludovic Monnerat conforte le point de vue selon lequel la stratégie des Etats-Unis au Vietnam était empreinte de la pensée « occidentale », en particulier de notre compatriote Jomini et de son contemporain Clausewitz.
Comme le dit Monnerat : « Des milliers de soldats américains ont payé de leur vie cette recherche obsessionnelle de la bataille frontale.«
Pendant ce temps, le Nord Vietnam suivait à la lettre les préceptes de Sun Tzu, comme on peut s’en convaincre en regardant n’importe quel film d’archive ou de fiction sur ce conflit :
« La force militaire est réglée sur sa relation au semblant.
Déplacez-vous quand vous êtes à votre avantage, et créez des changements de situation en dispersant et concentrant les forces.
Dans les occasions où il s’agira d’être tranquille, qu’il règne dans votre camp une tranquillité semblable à celle qui règne au milieu des plus épaisses forêts. Lorsque, au contraire, il s’agira de faire des mouvements et du bruit, imitez le fracas du tonnerre ; s’il faut être ferme dans votre poste, soyez-y immobile comme une montagne ; s’il faut éblouir l’ennemi, soyez comme un éclair ; s’il faut cacher vos desseins, soyez obscur comme les ténèbres.«
les USA ont-ils compris la leçon ? pas sur…